Introduction
du deuxième axe : histoire de la politique patrimoniale
Après
la Seconde guerre mondiale, l’UNESCO, nouvellement créé, élabore et diffuse la
notion de patrimoine. Au XXe siècle donc, on assiste à un attachement
progressif des sociétés à leur passé.
A
partir des années 1960, la notion de patrimoine connaît une extension
considérable. Elle s’enrichit et intègre progressivement le patrimoine naturel
(parcs, paysages), archéologique (sites mégalithiques, grecs, romains, etc),
industriel (anciennes mines, écomusées) et le patrimoine maritime et fluvial
(ponts anciens, phares, etc). De plus, jusqu’ici, la protection du patrimoine
était considérée comme une affaire des spécialistes et était confiée aux
historiens de l’art. Mais l’Etat se dote d’une administration et d’instruments
juridiques qui lui permettent d’assurer cette responsabilité.
A partir de 1983,
les lois de décentralisation associent les collectivités locales à la gestion
du patrimoine et accompagnent la prise en compte de patrimoines locaux.
Aujourd’hui,
l’Etat est propriétaire d’environ 1600 monuments (sur 42 000 monuments
historiques), c’est-à-dire 4% du nombre total de monuments sur le territoire
national, et le budget consacré à la conservation est en hausse. 500 000
personnes, en France, travaillent autour du patrimoine, qui est une véritable
richesse de métier. Celui-ci n’est pas
l’affaire de quelques acteurs, comme l’Etat ou le maire d’une commune, c’est
l’affaire de tous.
Procéder
à une restauration aujourd’hui demande de respecter la procédure de
restauration : le constat d’état, la rédaction du cahier des charges, et
une mise en concurrence pour sélectionner le restaurateur qui fera la
proposition la plus adéquate au cahier des charges.
A) Théorie de Cesare Brandi
Au
XXe siècle, des théoriciens s’inspirent de la synthèse de Boito pour développer
une nouvelle théorie. C’est le cas de Cesare Brandi (1906-1988), historien,
critique d’art et spécialiste de la théorie de la restauration, qui aborde
l’œuvre d’art sous sa double polarité esthétique et historique, dans son
ouvrage Teoria del restauro (théorie de
la restauration) paru en 1963.
Brandi
précise que la consistance physique doit être prioritaire car elle assure la
transmission de l’image aux générations futures. Mais il assure également que l’aspect
historique prévaut de manière absolue.
Ce qu’enseigne Brandi est donc que le conflit entre ces deux instances devrait
être résolu en faveur de celle qui a le plus de poids, et ce poids sera défini
par un jugement de valeur.
Voici pour illustrer
le respect historique demandé par Brandi un exemple simple : une statue
brisée par une chute pourra être réparée, mais si elle est brisée par un
iconoclaste, alors la restauration est illégitime car elle revient à effacer un épisode de
l’histoire de l’œuvre.
Concernant
les ajouts réalisés sur un monument, Brandi pense que leur différenciation
exagérée provoque une perte de la valeur esthétique. Les ajouts doivent donc
être distinguables de l’original à vue rapprochée mais ne doivent pas être
visibles dès que l’on se recule. La conservation des ajouts doit être
considérée comme la règle et leur suppression doit rester un fait
exceptionnel : « Tout le
contraire de ce que l’empirisme conseillait pour les restaurations ! »,
s’exclame Brandi dans son ouvrage, allusion claire à Viollet-le-Duc. Et il
poursuit : « Voilà la pire
hérésie de la restauration : restaurer en imaginant ». Le
théoricien ajoute : « On demandera à l’œuvre d’art de descendre de son piédestal, de subir l’attraction
du temps qui est le nôtre. S’il s’agit d’une œuvre d’art ancienne, on lui
demandera une actualité ».
Brandi
évoque la restauration préventive : il pense qu’il est faux de faire
croire qu’une vaccination est
possible et pourrait immuniser l’œuvre d’art au cours du temps. Toutefois, son
avantage réside dans le fait qu’elle empêche une intervention hâtive qui peut
difficilement sauver l’ensemble de l’œuvre d’art.
Concernant
un monument en ruines, Brandi le considère malgré tout comme un témoignage
(mutilé) de l’histoire humaine, même sous un aspect très différent par rapport
à sa structure originelle. Pour cela, il faut conserver ces ruines.
La
charte de Venise
En
1964, les nouvelles conceptions de la restauration sont rassemblées dans la
Charte de Venise, inspirée de la théorie de Brandi. La Charte fixe des règles
de restauration, tout en laissant à chaque nation le soin d’en assurer
l’application dans le cadre de sa propre culture et de ses traditions.
Elle
donne en premier lieu une définition de monument
historique, c’est-à-dire une création
architecturale qui porte le témoignage d’une civilisation, d’une évolution
significative ou d’un évènement historique. Considérant les erreurs des
restaurateurs du passé, l’intervention actuelle doit être réversible.
Mais
la Charte est surtout connue pour avoir donné un nouveau cadre à la pratique de
la restauration (opération qui doit garder un caractère exceptionnel). Celle-ci
doit toujours être précédée et accompagnée d’une étude archéologique et
historique du monument. La Charte met l’accent sur la notion de succession des
moments vécus par un édifice : contrairement aux conceptions de
Viollet-le-Duc, l’unité de style n’est plus un objectif. On doit ainsi pouvoir
lire un monument dans la complexité de son histoire et distinguer les éléments
restaurés des parties les plus anciennes.
Article 7 : Le monument est
inséparable de l’histoire dont il est le témoin et du milieu où il se situe. En
conséquence le déplacement de tout ou partie d’un monument ne peut être tolérée
que lorsque la sauvegarde du monument l’exige (…).
B) La dérestauration : l’exemple de St Sernin
de Toulouse
Le projet de Viollet-Le-Duc
concernant la restauration de la basilique de St-Sernin de Toulouse fut mis en
place en 1846. En le rédigeant, Viollet-Le-Duc réalise que la basilique a été
conçue selon un système de proportions hérité des Grecs : un exemple
unique de l’architecture romane.
A St-Sernin (comme au château
de Pierrefonds), Viollet-Le-Duc a mis en pratique sa théorie selon laquelle
« restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le
refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé
à un moment donné ».
Par exemple, il
recommande de supprimer certains ajouts qu’il juge « fautifs », ou
encore de substituer des matériaux de meilleure qualité aux anciens.
Dans le cas de
Saint-Sernin, Viollet-Le-Duc remplace la pierre d’origine, un calcaire de
Beaucaire, par du grès de Carcassonne, connu aujourd’hui pour se déliter facilement. Au final, cette
restauration n’a pas résisté à l’épreuve du temps et un siècle plus tard, le
monument se trouve dans un état de dégradation avancé.
C’est alors qu’en 1989, la Commission supérieure des Monuments
historiques tranche, et décide d’effacer toute trace des vigoureux aménagements
que l’architecte a réalisés au XIXème siècle, et qui avaient fait l’objet de
critiques à son époque, car on voulait rendre l’église à son état antérieur.
La presse locale
s’insurge alors contre un projet suspecté de désacraliser le lieu de culte,
mais ces campagnes de presse seront inutiles puisque la dérestauration de
l’Eglise aura bien lieu.
Fidèle à la charte de
Venise, l’édifice actuel laisse apparaitre les strates de différentes époques.
Pour autant, en supprimant les traces de la période du 19ème siècle,
cette dérestauration n’échappe pas à la tentation de renouer avec son passé,
preuve que les théories de Viollet-Le-Duc continuent d’infuser.
C) Paris, une
ville-musée ? La restauration des Champs-Elysées
Le patrimoine n’est plus seulement un bien culturel mais aussi un
objet de consommation et un atout économique.
Acheter des entrées, des produits dérivés et louer des monuments sont
devenus de réels revenus pour le secteur touristique. Les villes qui s’imposent
aujourd’hui en Europe mais aussi à l’échelle internationale sont celles qui ont
fait de leur patrimoine un moyen de développement économique et touristique
mais aussi un moyen d’affirmer une identité territoriale.
Grand
Paris, Paris métropole, Région capitale,
nombreux sont les termes qui désignent les projets plus ou moins ambitieux
censés dessiner un nouveau visage de Paris pour les décennies à venir. Paris se cristallise une image de fantasme
que l’on retrouve dans les films de
Woody Allen ou de Jean Pierre Jeunet (Le fabuleux destin Amélie Poulain).
L’aménagement
et la modernisation de la ville intra-muros se heurtent à une question
économique : lorsque l’on sait que le tourisme patrimonial s’apprête à
prendre la première place des activités productives parisiennes, peut-on
envisager que Paris se transforme progressivement en ville musée ?
C’était il y a 20 ans. La plus belle avenue du
monde effectuait sa dernière rénovation, et pour maintenir ce statut,
l’architecte Jean-Paul Viguier (à
l’origine de la Tour Majunga et du parc André-Citroën) s’est vu confier une
mission de réflexion sur l’avenir des Champs-Elysées : un enjeu de grande
importance pour la célèbre artère parisienne qui draine jusqu’à 20 millions de
visiteurs par an.
L’objectif donné aux rénovations, actuellement
prévu pour 2025, est de préparer la renaissance des Champs. Il faut redonner de
l’énergie et de l’attrait à ce quartier emblématique.
Le président de l’association qui regroupe les
enseignes de marques présentes sur l’avenue, Jean-Noël Reinhardt, déclarait fin
novembre 2014 : « Nous voulons réinventer un futur à la hauteur du
passé ». L’architecte cherche néanmoins à intégrer « d’avantages
d’art, de culture, d’évènements, de services et de convivialité ». Les
Champs-Elysées doivent amoindrir leur image de symbole absolu de luxe car
l’avenue semble lasser, s’essouffler et les parisiens commencent à éviter voire
blacklister l’artère de leurs sorties
domiciles, selon Le Figaro. La chaîne
anglaise BBC la qualifie même de « vulgaire, sans style, chère et
ringarde ». Il faut dire que fin 2014 l’avenue était classée troisième au
classement des artères commerciales les plus chères du monde.
L’architecte urbaniste en charge du projet
propose de répondre à ces attentes par quatre aménagements :
-
Un travail sur les flux :
notamment la réduction du flot des voitures
-
Un travail sur la
verticalité : en construisant en hauteur des deux côtés de l’avenue (par
exemple sur les toits parisiens devenus une option très plébiscitée ses
derniers temps).
-
Un travail sur
l’épaisseur : en transformant les rues adjacentes en passages piétons couverts (à l’image de la petite rue de
Ponthieu), ce qui permettrait de retisser des liens, de crée une cohésion
autour de l’artère.
-
La création d’une forêt connectée entre le rond-point
et la Concorde qui donnerait un accès gratuit à internet, et pourrait
accueillir expositions temporaires et divers évènements culturels.
Anne Hidalgo, le maire (PS) actuel de Paris
tient à rappeler dans une interview pour Le
Parisien paru fin octobre 2014 qu’il faut avant tout protéger le patrimoine
et exiger des chantiers parisiens « une exigence extrême et même
excellente en terme de qualité architecturale et environnementale ». Pour
elle, des interventions contemporaines « sont possibles » sur le
patrimoine, mais doivent être « à la hauteur ».
La rénovation des
Champs-Élysées est donc une réinvention architecturale à l’échelle de quartier,
réinvention devenue nécessaire pour réinstaller une vie de quartier et protéger
son statut très attractif de plus belle avenue du monde.