dimanche 21 décembre 2014

II. La restauration au XXe siècle



Introduction du deuxième axe : histoire de la politique patrimoniale

Après la Seconde guerre mondiale, l’UNESCO, nouvellement créé, élabore et diffuse la notion de patrimoine. Au XXe siècle donc, on assiste à un attachement progressif des sociétés à leur passé.

A partir des années 1960, la notion de patrimoine connaît une extension considérable. Elle s’enrichit et intègre progressivement le patrimoine naturel (parcs, paysages), archéologique (sites mégalithiques, grecs, romains, etc), industriel (anciennes mines, écomusées) et le patrimoine maritime et fluvial (ponts anciens, phares, etc). De plus, jusqu’ici, la protection du patrimoine était considérée comme une affaire des spécialistes et était confiée aux historiens de l’art. Mais l’Etat se dote d’une administration et d’instruments juridiques qui lui permettent d’assurer cette responsabilité. 
A partir de 1983, les lois de décentralisation associent les collectivités locales à la gestion du patrimoine et accompagnent la prise en compte de patrimoines locaux.
Aujourd’hui, l’Etat est propriétaire d’environ 1600 monuments (sur 42 000 monuments historiques), c’est-à-dire 4% du nombre total de monuments sur le territoire national, et le budget consacré à la conservation est en hausse. 500 000 personnes, en France, travaillent autour du patrimoine, qui est une véritable richesse de métier. Celui-ci  n’est pas l’affaire de quelques acteurs, comme l’Etat ou le maire d’une commune, c’est l’affaire de tous.
Procéder à une restauration aujourd’hui demande de respecter la procédure de restauration : le constat d’état, la rédaction du cahier des charges, et une mise en concurrence pour sélectionner le restaurateur qui fera la proposition la plus adéquate au cahier des charges.


A) Théorie de Cesare Brandi

Au XXe siècle, des théoriciens s’inspirent de la synthèse de Boito pour développer une nouvelle théorie. C’est le cas de Cesare Brandi (1906-1988), historien, critique d’art et spécialiste de la théorie de la restauration, qui aborde l’œuvre d’art sous sa double polarité esthétique et historique, dans son ouvrage Teoria del restauro (théorie de la restauration) paru en 1963. 

Brandi précise que la consistance physique doit être prioritaire car elle assure la transmission de l’image aux générations futures. Mais il assure également que l’aspect historique prévaut de manière absolue. Ce qu’enseigne Brandi est donc que le conflit entre ces deux instances devrait être résolu en faveur de celle qui a le plus de poids, et ce poids sera défini par un jugement de valeur.
Voici pour illustrer le respect historique demandé par Brandi un exemple simple : une statue brisée par une chute pourra être réparée, mais si elle est brisée par un iconoclaste, alors la restauration est illégitime car elle  revient à effacer un épisode de l’histoire de l’œuvre.

Concernant les ajouts réalisés sur un monument, Brandi pense que leur différenciation exagérée provoque une perte de la valeur esthétique. Les ajouts doivent donc être distinguables de l’original à vue rapprochée mais ne doivent pas être visibles dès que l’on se recule. La conservation des ajouts doit être considérée comme la règle et leur suppression doit rester un fait exceptionnel : « Tout le contraire de ce que l’empirisme conseillait pour les restaurations ! », s’exclame Brandi dans son ouvrage, allusion claire à Viollet-le-Duc. Et il poursuit : « Voilà la pire hérésie de la restauration : restaurer en imaginant ». Le théoricien ajoute : « On demandera à l’œuvre d’art de descendre de son piédestal, de subir l’attraction du temps qui est le nôtre. S’il s’agit d’une œuvre d’art ancienne, on lui demandera une actualité ». 

Brandi évoque la restauration préventive : il pense qu’il est faux de faire croire qu’une vaccination est possible et pourrait immuniser l’œuvre d’art au cours du temps. Toutefois, son avantage réside dans le fait qu’elle empêche une intervention hâtive qui peut difficilement sauver l’ensemble de l’œuvre d’art. 

Concernant un monument en ruines, Brandi le considère malgré tout comme un témoignage (mutilé) de l’histoire humaine, même sous un aspect très différent par rapport à sa structure originelle. Pour cela, il faut conserver ces ruines.

La charte de Venise

En 1964, les nouvelles conceptions de la restauration sont rassemblées dans la Charte de Venise, inspirée de la théorie de Brandi. La Charte fixe des règles de restauration, tout en laissant à chaque nation le soin d’en assurer l’application dans le cadre de sa propre culture et de ses traditions.
Elle donne en premier lieu une définition de monument historique, c’est-à-dire une création architecturale qui porte le témoignage d’une civilisation, d’une évolution significative ou d’un évènement historique. Considérant les erreurs des restaurateurs du passé, l’intervention actuelle doit être réversible.

Mais la Charte est surtout connue pour avoir donné un nouveau cadre à la pratique de la restauration (opération qui doit garder un caractère exceptionnel). Celle-ci doit toujours être précédée et accompagnée d’une étude archéologique et historique du monument. La Charte met l’accent sur la notion de succession des moments vécus par un édifice : contrairement aux conceptions de Viollet-le-Duc, l’unité de style n’est plus un objectif. On doit ainsi pouvoir lire un monument dans la complexité de son histoire et distinguer les éléments restaurés des parties les plus anciennes. 

Article 7 : Le monument est inséparable de l’histoire dont il est le témoin et du milieu où il se situe. En conséquence le déplacement de tout ou partie d’un monument ne peut être tolérée que lorsque la sauvegarde du monument l’exige (…). 



B) La dérestauration : l’exemple de St Sernin de Toulouse

Le projet de Viollet-Le-Duc concernant la restauration de la basilique de St-Sernin de Toulouse fut mis en place en 1846. En le rédigeant, Viollet-Le-Duc réalise que la basilique a été conçue selon un système de proportions hérité des Grecs : un exemple unique de l’architecture romane.
A St-Sernin (comme au château de Pierrefonds), Viollet-Le-Duc a mis en pratique sa théorie selon laquelle « restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné ».
Par exemple, il recommande de supprimer certains ajouts qu’il juge « fautifs », ou encore de substituer des matériaux de meilleure qualité aux anciens.

Dans le cas de Saint-Sernin, Viollet-Le-Duc remplace la pierre d’origine, un calcaire de Beaucaire, par du grès de Carcassonne, connu aujourd’hui  pour se déliter facilement. Au final, cette restauration n’a pas résisté à l’épreuve du temps et un siècle plus tard, le monument se trouve dans un état de dégradation avancé.
C’est alors qu’en  1989, la Commission supérieure des Monuments historiques tranche, et décide d’effacer toute trace des vigoureux aménagements que l’architecte a réalisés au XIXème siècle, et qui avaient fait l’objet de critiques à son époque, car on voulait rendre l’église à son état antérieur.
La presse locale s’insurge alors contre un projet suspecté de désacraliser le lieu de culte, mais ces campagnes de presse seront inutiles puisque la dérestauration de l’Eglise aura bien lieu.
Fidèle à la charte de Venise, l’édifice actuel laisse apparaitre les strates de différentes époques.
Pour autant, en supprimant les traces de la période du 19ème siècle, cette dérestauration n’échappe pas à la tentation de renouer avec son passé, preuve que les théories de Viollet-Le-Duc continuent d’infuser.



 C) Paris, une ville-musée ? La restauration des Champs-Elysées

Le patrimoine n’est  plus seulement un bien culturel mais aussi un objet de consommation et un atout économique.  Acheter des entrées, des produits dérivés et louer des monuments sont devenus de réels revenus pour le secteur touristique. Les villes qui s’imposent aujourd’hui en Europe mais aussi à l’échelle internationale sont celles qui ont fait de leur patrimoine un moyen de développement économique et touristique mais aussi un moyen d’affirmer une identité territoriale.

Grand Paris, Paris métropole, Région capitale, nombreux sont les termes qui désignent les projets plus ou moins ambitieux censés dessiner un nouveau visage de Paris pour les décennies à venir.  Paris se cristallise une image de fantasme que l’on  retrouve dans les films de Woody Allen ou de Jean Pierre Jeunet (Le fabuleux destin Amélie Poulain). 

L’aménagement et la modernisation de la ville intra-muros se heurtent à une question économique : lorsque l’on sait que le tourisme patrimonial s’apprête à prendre la première place des activités productives parisiennes, peut-on envisager que Paris se transforme progressivement en ville musée ?
C’était il y a 20 ans. La plus belle avenue du monde effectuait sa dernière rénovation, et pour maintenir ce statut, l’architecte Jean-Paul Viguier  (à l’origine de la Tour Majunga et du parc André-Citroën) s’est vu confier une mission de réflexion sur l’avenir des Champs-Elysées : un enjeu de grande importance pour la célèbre artère parisienne qui draine jusqu’à 20 millions de visiteurs par an.
L’objectif donné aux rénovations, actuellement prévu pour 2025, est de préparer la renaissance des Champs. Il faut redonner de l’énergie et de l’attrait à ce quartier emblématique. 

Le président de l’association qui regroupe les enseignes de marques présentes sur l’avenue, Jean-Noël Reinhardt, déclarait fin novembre 2014 : « Nous voulons réinventer un futur à la hauteur du passé ». L’architecte cherche néanmoins à intégrer « d’avantages d’art, de culture, d’évènements, de services et de convivialité ». Les Champs-Elysées doivent amoindrir leur image de symbole absolu de luxe car l’avenue semble lasser, s’essouffler et les parisiens commencent à éviter voire blacklister l’artère de leurs sorties domiciles, selon Le Figaro. La chaîne anglaise BBC la qualifie même de « vulgaire, sans style, chère et ringarde ». Il faut dire que fin 2014 l’avenue était classée troisième au classement des artères commerciales les plus chères du monde.

L’architecte urbaniste en charge du projet propose de répondre à ces attentes par quatre aménagements :
-          Un travail sur les flux : notamment la réduction du flot des voitures
-          Un travail sur la verticalité : en construisant en hauteur des deux côtés de l’avenue (par exemple sur les toits parisiens devenus une option très plébiscitée ses derniers temps).
-          Un travail sur l’épaisseur : en transformant les rues adjacentes en passages piétons  couverts (à l’image de la petite rue de Ponthieu), ce qui permettrait de retisser des liens, de crée une cohésion autour de l’artère.
-          La création d’une forêt connectée entre le rond-point et la Concorde qui donnerait un accès gratuit à internet, et pourrait accueillir expositions temporaires et divers évènements culturels.

 Anne Hidalgo, le maire (PS) actuel de Paris tient à rappeler dans une interview pour Le Parisien paru fin octobre 2014 qu’il faut avant tout protéger le patrimoine et exiger des chantiers parisiens « une exigence extrême et même excellente en terme de qualité architecturale et environnementale ». Pour elle, des interventions contemporaines « sont possibles » sur le patrimoine, mais doivent être « à la hauteur ».

La rénovation des Champs-Élysées est donc une réinvention architecturale à l’échelle de quartier, réinvention devenue nécessaire pour réinstaller une vie de quartier et protéger son statut très attractif de plus belle avenue du monde.

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